C'est par la langue de Primo Levi tirée de la bouche del signore Pastorelli que commencent les 65' 56" de ces Nouvelles, en disque compactées à la demande par Jean-Marc Foussat; elles s’adressent à "Vous qui vivez en toute quiétude bien au chaud dans vos maisons..." quoique le disque soit dédie à Marie et à Robert Wyatt, cet autre mélodiste faiseur de chansons tristes, évoqué en deux brèves citations d'un Gloria Gloom extirpé du Petit Disque Rouge de Matching Mole – façon pour l'auteur de ces Nouvelles de s'ancrer dans une Histoire pleinement choisie; encore qu’avant même de fondre sous la chaleur de la langue piémontaise il faille en passer par le rouge sang de ces Nouvelles lavé par les remous sales d'une rivière que perce un cordage ou s'effilochent des linges happés par un méchant courant, rude filin tendant sa mince ombre noire sur l’onde tourbillonnante : voila ou s'arriment ces Nouvelles que donne Jean-Marc Foussat aux immobiles voyageurs du numérique les écoutant "le soir en rentrant" *; c’est que le son, capté, découpé, travaillé sans fin, reste l'instrument privilégié de cet homme discret posant son chapeau gris derrière les machines à bruire de Marteau Rouge (conique pochette surprise qu'il remplit à loisir aidé de Jean-François Pauvros et Makoto Sato) auxquelles il rajoute ici voix, piano, trompe de Solex, cordes, tabouret à vis, dédicaces, courants d'air, téléviseur et magnétoscope, collés ou pas à la guitare de Jean-François Pauvros, la trompette de Jac Berrocal, la voix de Roger Turner, l'accordéon de Claude Parle, la basse et les percussions d'ex du groupe Mandragore, psychédélique underground météorite seventies (presque) sans lendemain mais ou naquit Jean-Marc Foussat aux phénomènes sonores.
Avant ou après le turinois reprenant le compte à rebours qu’égrena Primo Levi à l’ouverture de Se questo e un uomo / Si c'est un homme, viennent en leur temps langue arabe, anglaise, grecque, allemande, latin classique, chiffres et lettres mettant en équation les matières sonores de ces Nouvelles, et que "vous qui (les) trouvez le soir en rentrant la table mise (...) non, ne l(es) oubliez pas : Gravez ces mots dans votre cœur. Pensez-y chez vous, dans la rue, en vous couchant, en vous levant; répétez-les à vos enfants. Ou que votre maison s'écroule, que la maladie vous accable, que vos enfants se détournent de vous." Menace éminemment politique, impeccablement rédigée par celui qui avait choisi de narrer l'irracontable, l'indicible des camps d'extermination nés en milieu de ce siècle, reprise ici sostenuto par Jean-Marc Foussat qui désigne mieux ainsi qu’avec n'importe quoi d'autre le camp de ses choix sonores.

* Serge Gainsbourg, "L'Aquabonis"

Jacques Debout in Revue & Corrigée : Septembre 1999



Il y a le Jean-Marc Foussat musicien, mais on le connaît aussi comme preneur de sons, engrangeur de mémoires. Dans ce projet démarré en 1985, il est les deux à la fois, ayant composé une étonnante confrontation avec son propre passé. C'est en effet des moments de sa vie qui servent de matière à ces Nouvelles. Ou plutôt des alentours de vie qu'il a capté sur ses magnétophones à bandes et auxquels, au moins en tant que chasseur de sons, il a participé. De fait, la musique qu'il a jouée dans les 70's avec son groupe Mandragorefait partie intégrante de ces récits fragmentés, tout comme les gens avec qui il a joué, tels que Jean-François Pauvros, Jac Berrocal ou Roger Turner, tout comme les musiques qui l'ont marqué, celle de Soft Machine par exemple, appréhendée comme il se doit dans la lumière d'une pataphysique chandelle verte. Des tas de souvenirs analogiques ont ainsi été refondus, remixés, remontés et transférés en digital pour créer des poèmes coniques qui s'épanouissent au-delà de toute narration verbale, de toute linéarité sémantique. Les mots, les voix, les notes, les cris et les bruits font valoir leurs propriétés mnémoniques, qu'il s'agisse de pas dans l'escalier, de moteurs d'avions, de pleurs d'enfant, de thèmes libres au piano joués pour un film Super 8, d'une trompe de Solex, d'un téléviseur, du rebond d'une balle, d'une boîte à musique, d'une matrice qui se métamorphose en cœur battant, ou du vide dans le lointain...
Autant de voix arrachées à l'instantané et qui, figées sur un nouveau support et réordonnées, réactivent une vie et rappellent ses fantômes, donnent des Nouvelles au lieu de raconter des histoires. Où l'illusion de la mise en boucle fait retrouver une vérité sensible à ces traces éphémères, comme cette évocation du Gloria Gloom's de Robert Wyatt, dont il ne reste tantôt que la chair textuelle, tantôt que l'enveloppe soufflée aux lèvres, a-rythmée par les vagues de l'infiniment aquatique... où les empreintes du souvenir, enfin, dictent leur version de celui-ci, sans tricher avec la crudité de leur nature, voire leur sauvagerie première. « Nous sommes tout ce que nous avons écouté » rappelle Fred Frith dans le livret. Et comme les sons donnent à voir, une partie CD-Rom a été ajoutée, comprenant photos et maquettes.

Stéphane Fougère in Traverses : Janvier 2002