« Penser en stratège, agir en barbare », entendis-je résonner, dans la pénombre familière et matinale de la cuisine à lheure du café, sur le haut-parleur de ma petite radio, au beau milieu dautres phrases qui péniblement mettaient en comptes résultats électoraux, accidentés du week-end, récents massacrés ramenés par le ressac de terrifiantes politiques étrangères et autres nouvelles mises en examen diligentées par quelques juges affairés. Alors quoi ? Sens de la formule ? Vaine rhétorique ?
Cause toujours, beau merle...
Glose-t-on sur le trop apparent pouvoir des mots ? Moque-t-on le sens de la formule ? Nempêche quil faudra bien ici encore se déplier selon le sens emprunté par les formules, fussent-elles mathématiques, incantatoires, magiques, surannées ou susurrées mais en soixante et quelques minutes.
Abattage (mot naffichant souvent par coquetterie quun seul de ses deux t), dans lusage quil en est fait au théâtre, signifie jouer ou danser avec brio; étendu au langage commun, il prend alors le sens davoir lassurance du geste et du langage. Musique nest pas verbe, cependant ? Certes, mais tout ici fait sens pour autant. Qui na vu notre homme des sons enchâssé, comme sentinelle au front entre sacs de sable, derrière son EMS VCS III, entre bandes magnétiques et cassettes, entre cut-up et mixage, entre entrées et sorties, entre microphone et galets dentraînement, ne comprendra le pourquoi du mot dauteur quon pouvait croire écrit seulement pour lui et placé au début de ces lignes.
Foussat Jean-Marc ? Lunettes de visée sur montures discrètes et gestuelle mesurée, voilà toute la retenue propre à lingénierie des sons. Mais puissance de feu maximum. Non, pas puissance mais rayon daction ou plutôt portée, car quimporte la puissance de la bombe quant seul importe « lendroit où cquelle tombe ».
Et pense-t-il en stratège quaussitôt il agit en barbare. Foussat Jean-Marc a beaucoup de laviateur survolant dans son autogire les pesanteurs du scénario de Mad Max II, faisant choir féroces serpents sur le dos de véloces barbares mais ainsi, sauvage jusquau-boutiste, leur ressemblant davantage que le hiératique Max, policier policé jusquaux deux bouts de son canon scié.
Jean-Marc Foussat appartiendrait-il à une scène ?
Au mieux à un théâtre des opérations. Et cet homme nhabite-t-il pas surtout un cockpit ?
Potlatch ? Barbarie ? Les deux font la paire comme la botte en létrier.
Un barbarisme ne se veut-il pas cette faute contre la langue où se forgeraient les mots que celle-ci ne saurait accepter ?
Avant cette définitive version, Nouvelles, prolongement de lAbattage précédent, a circulé sous forme dun trait-dunionesque CD-R dont les bits pairs réactivèrent le réseau, talent scout missionné pour faire le tour du propriétaire et circonscrire le théâtre des opérations, ultime reconnaissance davant cette offensive de printemps.
Il sorne toujours dune pleine page cadrant un cordage tendu, entre lici digital et lailleurs composite qui lavait vu jaillir, par-dessus des flots sales et tumultueux mêlant, sur là-plat de sa jaquette, ocres en boues délavées de gris bleu au carmin de son titre survivant; disque sale et tumultueux, voire outbloody rageous, comme il est écrit sur le Third de Soft Machine, le double album aux couleurs de papier craft (1) dont lexubérante Lune de Juin rayonne sur la totalité dune de ses quatre faces; on pensa alors à ces marines guerrières où les peintres du Grand Siècle célébraient les hauts faits darmes des amirautés de lépoque. Sur les chantiers navals, lopération consistant à coucher un navire sur le côté afin de le réparer sappelle labattage. Lhabitacle des bolides à voile que pilotent ces téméraires navigateurs poursuivant les vents mauvais encerclant le globe se nomme cockpit.
Et quand la quatrième partie de cet album sintitule On See-Side, tentant alors toutes les homophonies, on peut se risquer avec Jean-Marc Foussat à un drastique seaside rendezvous.
Oui mais comment sera-t-il ? « Ouraganesque et dérivant », écrit quelque part Valère Novarina.
Jacques Debout
1) Mot anglo-saxon nommant parfois lembarcation. |